La boulangerie est elle soluble dans la restauration ?


Chap 1 : La Boulangerie artisanale à la française

C’est le modèle porté par les artisans boulanger français, et qui s’exprime si férocement dans les coupes du monde de la boulangerie. C’est un modèle qui reste artisanal ( c’est a dire que les produits sont faits à la main sur place et aussi vendus sur place) mais dans lequel les machines type diviseuse ou façonneuse jouent un grand rôle dans le fournil. Le travail aussi est divisé, et l’artisan disparait derrière l’ouvrier spécialisé. Il y a maintenant tant de produits différents (trop ?) dans ce type de boulangerie, et la main d’œuvre compétente se fait rare.

Ce modèle qui se rapproche de la gastronomie française est celui de l’aristocratie des boulangers, souvent boulangers de père en fils depuis x générations. Eric Kayser et Gontran Cherrier en sont de somptueux exemples, et ils déclinent chacun à leur façon le même modèle dit artisanal dans le monde. Bien sur le pain est présent, mais c’est surtout le prêt a manger GASTRONOMIQUE ( viennoiserie, pâtisserie, salé, sandwichs, chocolat, etc..) qui est mis en avant dans un cadre luxueux.

Ce qui les différencie dans leur course à ouvrir des boulangeries dans le monde ?
Eric K, plus en avance dans son plan d’affaires, insiste beaucoup sur la technique du pain. C’est un gage de qualité et de sérieux.
Le jeune (?) Gontran en gendre idéal se la joue plus complice, et soigne une image de boulanger (un peu) rebelle.
Il faut avouer que tous deux maitrisent parfaitement l’anglais, et l’art des médias que ce soit la télévision ou les réseaux sociaux.
Comme Bocuse ou Ducasse en gastronomie, ils sont présents partout et sont incontournables en tout temps. Cependant ils restent des boulangers, attentifs à leurs boutiques
Alors oui ce type de boulangerie peut donner lieu à de la restauration mais ce n’est pas fondamental, et même rapide elle reste de qualité car, par exemple, ce sont les pains de la boulangerie qui sont utilisés pour les sandwichs.
D’ailleurs Eric a été le premier a ouvrir son « restaurant du boulanger » à Paris, et il s’est arrêté là.
Donc un pied dedans (restauration de type rapide – artisanal -gastronomique) mais pour le moment pas soluble.

Chap 2 : La boulangerie des cuisiniers

La première fois que j’ai eu un cuisinier de métier dans mon fournil, j’avais déjà au bout de 10 mins une envie furieuse de lui peigner la gueule a coup de balai brosse ! Insupportable de vacuité, il m’expliquait déjà comment il fallait travailler dans la boulangerie que j’avais créé…Heureusement pour lui , mon tempérament sanguin de boulanger est naturellement étouffé par l’éducation raffinée prodiguée par ma mère. Il se sentait tellement supérieur aux boulangers qu’il en était transparent, on voyait bien que boulanger et faire cuire un œuf au plat c’était kif-kif pour lui !
Tout ça pour vous dire que le cuisinier n’est pas un un boulanger, c’est un type qui applique des recettes, et qui au mieux deviendra un gestionnaire capable de coordonner tous les corps de métiers de la restauration (ce qui inclue aussi la pâtisserie) . Mais nous les boulangers on en fait pas partie !Il nous faut la douce chaleur d’un fournil pour qu’on s’exprime, pas le vacarme d’une cuisine.
Alors oui des cuisiniers se piquent de boulanger, car c’est vrai qu’ils savent faire du pain…Cependant boulanger c’est beaucoup plus que ça et quand vous vous serez tapé 6 mois non stop a travailler la nuit 7j/7 en réalisant seul toute la production nickel-chrome de pains, plus la viennoiserie, le salé, le sucré, les sandwichs,etc.. d’une boulangerie artisanale : là, oui vous commencerez a approcher la réalité de ce métier.
Alors un cuistot qui fait du tralala en façonnant une baguette à la main sur facebook…
Tout cela pour vous dire que ceux ci font des pains comme ils font des assiettes de tête de veau, c’est juste un fruit de leur ego, et non pas résultat d’un travail intuitif, et en plus vous passez pour un crétin si vous n’aimez pas leur pain trop cher sans imagination.
Ah ça fait du bien !
Donc oui , paradoxalement pour des types qui ne jurent que par le pain, une boulange soluble a 100 % dans la restauration, par ses fondamentaux et dans sa présentation en boutique.

Chap 3 . La boulangerie industrielle

Là je vais pas me faire des copains, et briser quelques illusions…
En effet la boulangerie artisanale en terme de volume ne représente rien au Canada, nous ne sommes que quelques centaines à boulanger notre pain de A à Z.
Tout le reste est fait dans de grosses usines de marque WESTON, BRIDOR (pain doré), BOULART (industriel-artisan, c’est un oxymore) , etc…
Comme c’est un gros chapitre, je vais le subdiviser :

Chap 3.1 : Les producteurs industriels de pain

Nous n’allons pas les appeler des boulangeries industrielles, car leur raison d’être est de fabriquer du pain sans intervention humaine, donc de supprimer les boulangers …
Que ce soit pour faire du pain tranché basique sous plastique, ou de la baguette congelée qui copie celle des artisans boulangers, ils pratiquent :
1) La robotisation des tâches (ie. pas de boulangers)
2) Une gigantesque capacité de production ( monopole de fait qui peut balayer d’un revers de la main la boulangerie artisanale)
3) Une farine uniformisée par mélange de grains de diverses origines géographiques – au mieux avec ajout d’orge malté + parfois acide ascorbique – au pire avec de nombreux autres améliorants. ( Perte du gout originel du grain – chap 3.i a venir sur les moulins)
4) Des processus de fermentation accéléré afin de sortir un maximum d’unités ( perte du gout et déni de l’acte fondamental de la boulangerie)
5) Des clones de pains à l’infini ( un jour sans fin pour votre baguette !)
6) Un marketing agressif qui, pour certains, va jusqu’à augmenter le poids final de la baguette ( normalement 350 g non cuite) afin qu’elle paraisse plus grosse que celle faite par l’artisan…
7) Une architecture de type centralisée, qui a partir d’un seul site de production peut distribuer par semi-remorques réfrigérés sur tout un continents des milliers de points de vente ( chapitre 3.i à venir, la mort des boulangeries artisanales ?).
Ils livrent principalement les lieux de restauration, mais aussi des chaines de boulangerie qui ne font que réchauffer du pain congelé, ou des épiceries.
Ce sont des acteurs majeurs au niveau économique qui investissent des millions dans la publicité ou le lobbying.
Ils sont 100 % solubles dans la restauration car ils sont là pour remplir des semi remorque de bouffe, c’est tout. Ils ont une communication qui vous parlent de pain comme si c’était votre copain, oubliant que ce n’est plus qu’un produit comestible fabriqué par une machine. Et indirectement ils donnent tout leur appui aux sandwicheries ( pure restauration) .
Le boulanger sert alors juste de faire valoir pour cette industrie : l’image du boulanger ou de ses produits passe mieux qu’une ligne de production en inox qui pond des pains par milliers !

Chapitre 3.2 : Les moulins

Il y a très peu de petits moulins au canada. C’est une industrie extrêmement concentrée financièrement, et qui ne compte que quelques (très) grosses usines ( Par exemple, moins d’une dizaine pour P&H Milling).
Les meuniers semblent faire d’excellents profits, n’est il pas….
II est sans doute très rentable d’avoir un gros moulin plutôt que 100 petits, et de faire venir le grain de plus loin par train ou camion.
Donc ce gros moulin va recevoir des grains provenant de centaines d’exploitations agricoles différentes.
Quelles sont les conséquences pour les meuniers ?
Ils vont devoir contrôler tous ces arrivages alors qu’ils ne connaissent pas physiquement le lieu de récolte : 1er perte de lien avec le terroir !
Laissons parler le seul ingénieur meunier du Canada :
«Les conditions météorologiques font que chaque récolte est différente de l’autre. Le boulanger veut néanmoins pouvoir offrir toujours le même pain à ses clients. La farine doit donc être constante», mentionne Michel Duval, lorsqu’on lui demande la plus grande difficulté de son métier. La Presse du 05/11/2012
Cela appelle quelques remarques :
1) Il n’y a pas que les conditions météorologiques qui influent sur le grain, mais aussi le lieu où il est produit, les variétés de la céréale, l’utilisation intensive ou non d’engrais et de pesticides, sa maturité à la récolte, etc…
2) Certains boulangers ,dont je suis, veulent une farine »vivante » pas une substance « flat »
3)Il ne dit pas comment il fait pour passer d’une grande diversité des grains à une farine uniforme (constante) ) – seconde perte de lien avec le terroir.
Moi je vais vous le dire .
Par exemple, la plus naturelle (celle de la filière industrielle bio) est d’analyser chaque lot de grain, puis de les mélanger ensemble, et enfin de rajouter de l’orge malté bio pour caler le tout dans un gabarit . Pour le non bio, pleins de produits améliorants sont autorisés par santé canada.
Et là grosse remarque : avec le simple mélange des grains, vous avez perdu la provenance de votre farine, elle n’a plus de terroir. Alors en rajoutant d’autres produits (j’y inclus les 4 obligatoires de santé canada) vous vous en éloignez plus encore.
Le meunier, devenu trop gros, a perdu son lien avec la terre.
C’est comme si votre vin était fait avec des raisins venant de différentes régions, on appelle cela du gros rouge…Nous on a de la grosse blanche ! La seule façon d’avoir une farine qui a un gout naturel local est de travailler une farine blanche non blanchie avec un exploitant bio qui écrase ses propres grains, et resème ses propres graines. Cela ne parait pas difficile comme cela, et pourtant c’est devenu l’exception. bravo aux quelques fermiers et moulins qui mènent ce combat pour le gout et le terroir, en contradiction totale avec le système dominant.

Chapitre 3.3 : Les points de vente des pains industriels.

Au Canada il n’y a pas de réglementation particulière sur la pain : vous pouvez acheter des cartons de baguettes congelées chez BRIDOR (pain Doré) ou BOULART, les faire réchauffer, et nommer votre boutique boulangerie. Vous n’avez besoin d’aucun diplôme, ni obligation particulière.
En France pour s’appeler boulangerie il faut un boulanger. Celui ci doit être agriculteur ou avoir le CAP de boulanger, un diplôme national Français .Il faut aussi pétrir/cuire sur place.
Ainsi, les boulangers canadiens qui vont en France sont obligés de passer ce CAP, à l’instar de benoit Fradette l’ex patron du Fromentier, artisan du renouveau de la boulangerie artisanale au Québec, et qui a aujourd’hui une boulangerie à Aix en Provence
Alors comment savoir si la boulangerie où vous achetez votre pain vend du pain industriel ?
1) Il y a peu de baguettes en présentation ( pour éviter la perte, elles sont chauffées au fur et a mesure) et elles se ressemblent comme des clones, et ce, tous les jours de l’année.
2) Il n’y a pas de diversité de pains, et pas de spéciaux avec des farines entières de type Kamut, seigle, épeautre, mais, sarrasin,etc..,
3) Elles n’ont pas de gout, pas d’odeur, et elles sont souvent grises de coloration.
4) Le commis à la vente a les yeux qui roulent dans leurs orbites quand vous lui demandez quelle farine utilise le boulanger…
Pour finir voici une photo PAT avec 3 baguettes achetées le même jour, 1 artisanale et 2 industrielles :
1 est moche, la 2 est plus jolie (et plus chère) cependant elle ment car elle est pesée plus lourde que les 350 g d’une baguette. La 3 est nature . Difficile avec juste une image, sans le gout ni l’odeur…Cependant à vous de trouver la baguette artisanale ! Bonne chance

 

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